LA POLITIQUE DU GROS DOS A BON DOS, par François Leclerc

Billet invité.

Imparfaitement construite, l’union monétaire est-elle condamnée au démantèlement ou peut-elle se renforcer et comment ? Il fallut se rendre à l’évidence qu’elle n’était pas bien armée lorsque la crise bancaire est brutalement intervenue, suivie par celle de la dette souveraine puis par l’interaction entre les deux. La philosophie du Traité de Maastricht voulant que chacun de ses signataires en fasse son affaire rencontrait alors ses limites, qui n’ont pas depuis été repoussées.

Il a fallu improviser dans l’urgence, car il est vite apparu que le sort des banques et des États étaient étroitement liés et ne tenait aucunement compte des frontières. Les juridictions fiscales, pour employer le jargon, étaient dépassées par les évènements, les autorités politiques confrontées à la méconnaissance d’un monde financier qui leur imposait sa loi. La surveillance des déficits publics par la Commission était loin d’être une panacée, et la BCE devait faire feu de tout bois en développant ses opérations monétaires sur titres (programme OMT), ainsi qu’en injectant des masses de liquidité à taux quasi zéro dans le système financier, qui en a fait ses choux gras. Les gouvernements suivirent le mouvement, s’y prenant à deux fois pour finalement créer le Mécanisme européen de stabilité (MES) et le doter de capacités financières. Puis en lançant l’Union bancaire, qui est toujours dans l’attente de la constitution de son troisième volet – l’assurance européenne des dépôts – pour cause de total désaccord.

Si le pire a pu être évité, les énormes faiblesses du dispositif sont apparues, menaçant de démantèlement l’Union monétaire. S’il a permis de faire face aux crises de liquidité, il n’était pas opérant face à l’insolvabilité. Comment alors y remédier ? Les propositions qui sont actuellement sur le tapis ne sont pas à la mesure des enjeux. En instituant un ministère de l’économie, ou des finances, et en proposant l’adoption d’un budget d’investissement commun, il est recherché de créer les conditions d’une relance qui desserrerait l’étau de la réduction des déficits budgétaires en accroissant les recettes fiscales. Tout en se préparant sans s’en vanter à traverser un tunnel dans l’attente d’hypothétiques résultats. L’absurdité des débats engagés au sein de l’Eurogroupe à propos des objectifs d’excédent budgétaire primaire de la Grèce (avant remboursement de la dette) est éclatante, de même que les prévisions qui rendraient soutenables l’endettement italien, qui est trop prononcé pour être résorbé. Il eût fallu une inflation galopante, mais elle n’est pas au rendez-vous.

On ne peut que le répéter : prises à leur propre piège pour avoir transféré aux institutions publiques la dette bancaire privée, les autorités européennes ne peuvent pas politiquement assumer les pertes d’une restructuration des dettes. La crise politique, en passe d’être provisoirement calmée, repartirait de plus belle.

Les projets qui sont agités sont encore flous et éludent par voie de nécessité la mutualisation des ressources. Les vraies questions apparaitront lorsque seront abordés les attributions et les prérogatives d’un hypothétique ministère européen, ainsi que la taille de l’enveloppe budgétaire sur lequel il pourrait s’appuyer pour agir.

En Allemagne, il est proposé que les décisions du futur Fonds monétaire européen en question soient prises à l’unanimité, une manière de verrouiller le dispositif en s’accordant le droit de véto. On connait déjà les effets d’une telle règle, qui n’existe d’ailleurs pas au sein du FMI et de la BCE : elle a représenté un désastreux obstacle à toute définition d’une politique fiscale commune au sein de l’Union et laissé prospérer les pires pratiques fiscales. La stricte politique de conditionnalité qui est également revendiquée dans ce nouveau cadre est pour sa part à contrecourant, le FMI étudiant actuellement un nouveau programme d’urgence qui abandonnerait le principe d’un accès conditionné à la mise en œuvre de réformes structurelles pour faire face aux développements attendus de la crise monétaire mondiale.

Prêchant avec constance dans le désert, le think tank bruxellois Bruegel revient méritoirement à la charge avec son projet de mécanisme juridique et financier européen de restructuration de la dette souveraine. Cette juridiction spécialisée aurait pour vocation de prévenir les défauts sur celle-ci et de la rendre soutenable lorsque nécessaire, une fois la décision prise par le Fonds monétaire européen en étroite liaison avec le MES.

L’adoption d’un tel schéma ayant pour objectif de régler à froid un problème est-il réaliste ? Il faudrait pour cela que l’Union monétaire en soit réduite à ses dernières extrémités, alors qu’il sera toujours préféré, comme c’est actuellement le cas, de repousser au plus tard possible le moment des décisions improvisées, politiquement douloureuses et non sans risques.

Pour ne pas parler de la Grèce, c’est le cas en Italie, et en Espagne où pour le moment l’achat des petites banques à la dérive par les plus gros établissements bat son plein. La concentration bancaire se réalise dans des conditions pas toujours clairement divulguées, entre le sort dévolu aux actifs toxiques dont il faudra bien éponger les pertes et celui réservé aux créances bancaires garanties par l’État. Le poids des grandes banques s’accroît, ce qui n’est pas synonyme de leur renforcement, si l’on considère que les établissements reconnus systémiques ont droit à un traitement renforcé des régulateurs. Mais cela met en évidence qu’un savoir-faire a été incontestablement acquis dans l’art de durer sans rien résoudre.

Dans tous les domaines où elle est mise en œuvre, c’est une politique, mais ce n’est pas une issue.